Le gouvernement transitoire du premier ministre intérimaire François Fillon vient d’être nommé. J’insiste sur les mots « transitoire » et « intérimaire », parce que depuis trois jours, tout est fait pour imposer aux français l’idée que le vote du deuxième tour de la présidentielle, le 6 mai dernier, a définitivement installé une majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale permettant de gouverner la France. Comme s’il était inutile de se rendre aux urnes les 10 et 17 juin prochains.

 

Terrible conséquence de la logique présidentielle de la Vème République, renforcée par le quinquennat et surtout par l’inversion du calendrier électoral.

 

Je ne peux m’empêcher de penser avec amertume que cette inversion a été décidée en 2000 par les grands experts de la tactique du gouvernement Jospin, croyant que faire précéder la législative par la présidentielle profiterait à la gauche. On voit aujourd’hui le résultat du choix de ces apprentis sorciers de la politique, avec un Président de la République de droite tout-puissant qui nomme lui-même les ministres, reçoit personnellement les syndicats, concentre entre ses mains l’intégralité des pouvoirs.

 

Les 10 et 17 juin prochains, les français voteront. Et je veux croire qu’il est encore possible d’inverser une tendance effrayante qui risque de conduire à un raz de marée sarkozyste. Mais pour cela, il faudrait que la gauche se rassemble autour d’un discours cohérent pour faire barrage à la droite. Pas un obstacle. Un barrage.

 

Or c’est l'éparpillement et la désagrégation qui se poursuivent. Aucune cohérence, aucun rassemblement ne semble possible d’ici trois semaines. Et comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on assiste à la débâcle de toutes les idées et les valeurs qui ont permis pendant des décennies d’affirmer la différence entre la droite et la gauche ?

 

Après six mois d’une campagne où la représentante de la principale force de gauche s’est appliquée à « casser les tabous », c’est-à-dire à remettre en cause les fondements de l’identité sociale et politique de la gauche, le terrain idéologique de notre camp s’est profondément fragilisé, et le doute et la méfiance sont désormais généralisés.

 

Le seul enseignement que tireraient de leur défaite les idéologues de la rue de Solférino serait donc qu’il faudrait poursuivre et accélérer l’aggiornamento social-démocrate et son glissement vers l’illusion centriste. C’est ce que François Hollande théorise avec la chimère d’un grand parti qui couvrirait « tout l'espace qui va de la gauche, sans aller jusqu'à l'extrême-gauche, jusqu'au centre ».

 

Au sein de la Gauche, donc, pas d’horizon possible. Le Conseil National du Parti Socialiste n’a d’ailleurs pu que prendre acte samedi dernier qu’aucun accord électoral ne serait défini. Enfin presque, puisque j'ai lu qu'un accord pour un désistement dans "une quinzaine de circonscriptions" au profit du Modem (c'est comme qu'il faut désormais appeler le club des amis de Bayrou...) a été envisagé un instant. Pas par n'importe qui : par l'actuel président du groupe des élus socialistes à l'Assemblée. Et je ne reviens pas plus sur l’incroyable bazar qui a débuté dans les couloirs dudit Conseil National, offrant avec complaisance aux médias – qui n’en demandent pas tant – le spectacle désolant des rivalités carriéristes et de la course à l’échalote de ceux qui négligent leur responsabilité vis à vis du peuple qui a voté pour eux, cherchant avant tout à sauver leur peau.

 

Les grands médias appartenant aux grands groupes financiers peuvent s’en donner à cœur joie. Ça c’est vendeur : des trahisons, les coups de théâtre, les lynchages publics ! Et à droite, on peut vendre aussi le glamour du nouveau président réconcilié avec sa première dame, et les portraits flatteurs révélant tous les secrets intimes de ces nouveaux venus, de ces débutants en politique que sont Borloo, Juppé, Alliot-Marie, Hortefeux et consorts.

 

Malheur à ceux qui, à gauche, avaient cru ingénieux de presque tout miser pendant la présidentielle sur la diabolisation de Nicolas Sarkozy. Car cela fait 10 jours que l’immense majorité des français se réveillent chaque matin en constatant qu’ils sont encore vivants. Qu’ils n’ont pas été brûlés en enfer par un diable qui n’a finalement pas l’air si terrible, qui fait paisiblement son jogging tous les matins au Bois de Boulogne, qui affiche publiquement son émotion à la lecture de la lettre d’adieu du jeune résistant communiste Guy Môquet, qui se réconcilie avec le numéro deux de l’UDF, qui accueille dans son gouvernement deux socialistes, qui désigne un premier ministre dont on a appris hier qu’il avait une passion… pour les voitures de courses !


Malheur à nous, car à cause de ces experts au PS de la « triangulation » qui se sont extasiés de la capacité de l’ex-candidate Ségolène Royal à brouiller tous les clivages, voilà que le sol se dérobe sous les pieds de la gauche toute entière.

 

Et pourtant, en dépit du sombre tableau que je dresse, je veux croire qu’il est encore possible d’inverser cette tendance. Mais il faudrait pour cela que la gauche accepte de porter son regard le plus loin possible, bien au-delà des élections de juin, pour présenter au peuple lors des élections de juin un outil utile pour construire l’avenir. Bref, tout le contraire des gesticulations des triangulateurs qui s’agitent aujourd’hui sur les plateaux de télé pour dénoncer les débauchages individuels, pour les transfuges du PS vers l’UMP, et pour appeler au vote des français en juin, non pas pour gagner, mais pour avoir un gros groupe d’opposition. Quel extraordinaire horizon pour mobiliser l’électorat de gauche !

 

Une fois de plus, j’invite mes lecteurs à lire le texte adopté par le Conseil National de PRS réuni le week-end dernier. Il offre une analyse, une méthode et un horizon susceptibles d’inverser le cours des événements… et quelle que soit l’issue du scrutin de juin, les propositions qui sont faites dans ce texte resteront d’actualité.

 

Pendant ce temps là, à Montreuil…

 

Les discussions que j’ai eues ces derniers jours avec les militants de toute la gauche et un grand nombre de simples électeurs montreuillois m’ont démontré que je ne suis pas le seul à ressentir un sentiment d’impuissance vis-à-vis des états-majors de la gauche… Dans l'indescriptible désordre qui règne, l'attitude de tous ces militants et sympathisants semble se résumer au mot d’ordre « tous au abris ! Tâchons là où nous sommes de préserver ce qui peut encore l’être ».

 

Je vois dans ce réflexe militant bien naturel un autre danger plus grand encore que tout ce que j’ai décrit plus haut : le triomphe du localisme. N’ayant plus de prise sur les enjeux généraux, pris dans la grande centrifugeuse des événements politiques qui échappent à tout ce qui était prévu, chacun tentera de s’accrocher aux branches de sa réalité locale, espérant protéger tout seul son petit patrimoine politique en attendant les yeux fermés le Tsunami.

 

Un certain nombre de militants et de responsables de la gauche montreuilloise – et départementale – me pressent depuis quelques jours de leur dire quelle est ma position sur l’élection dans la 7ème circonscription de la Seine-Saint Denis.

 

Bien sûr cela n’a rien à voir avec la suspicion généralisée que je décrivais plus haut. Ni avec la gourmandise attisée par les médias pour le sensationnel des retournements d’alliances et autres dissidences. Non, personne ne mange de ce pain là au sein de la gauche montreuilloise, n’est-ce pas ? Je suis donc sûr que tous ceux qui m’interrogent portent un intérêt très grand à tout ce que je peux dire sur les questions nationales et nourrissent une véritable passion pour le débat sur les grands principes que je tâche de défendre afin de préserver l’unité de la gauche sur des bases claires. Je ne veux donc voir dans ces amicales pressions que la manifestation d’un intérêt bienveillant de leur part sur ma façon d’articuler ma vision générale du moment politique avec les enjeux locaux.

 

Bien entendu, je l’exprimerai dans le débat public de ma ville comme je l’ai exprimé devant les militants de ma section. N’en déplaise aux gourmands : il n’y aura pas de grande surprise et ma position tient en trois phrases. Je ne suis pas satisfait des conditions dans lesquelles se prépare la confrontation de la gauche contre la droite. Responsable socialiste à Montreuil, je fais campagne pour la candidature socialiste qui désigne son adversaire à droite. Responsable d’une gauche en recomposition, je ne ferai rien qui aggraverait la confusion en son sein et qui pourrait compromettre son unité à reconstruire.

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