Voilà, c'est décidé : le conseil général de la Seine-Saint-Denis a décidé d'être un département "pilote" dans la mise en oeuvre du Revenu de Solidarité Active (RSA), ce dispositif destiné essentiellement aux allocataires du RMI, présenté - à grand renfort de communiqués de presse - par Martin Hirsch (l'un des sous-ministres "d'ouverture" de Sarkozy).

 

Selon Martin Hirsch, il s’agit de « passer d’un système dans lequel on peut soit relever des prestations de l’assistance, soit entrer dans le monde du travail sans garantie de sortir de la pauvreté, à un système permettant de combiner revenus du travail et revenus de la solidarité. » Et tout le monde applaudit. Le raisonnement semble tellement évident… C’est « ni de droite ni de gauche », comme on dit.

 

Le RSA semble tellement évident et raisonnable que le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, dirigé par la gauche, a réclamé l’anticipation de la mise en place généralisée en postulant cet été pour devenir département pilote (comme beaucoup d’autres conseils généraux de gauche). Et cela sur proposition du Vice Président socialiste à l’Insertion qu’est Pascal Popelin… avec la bénédiction du Président communiste Hervé Bramy.

 

Tout le monde semble donc d’accord, vive la politique pragmatique, et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

Je ne suis pas d’accord. Mais alors pas du tout d’accord avec cette touchante unanimité qui règne au sein du Conseil Général de mon département. Moi-même chargé de l’insertion et de l’emploi dans ma municipalité à Montreuil, par ailleurs Vice-président du CCAS, je ne partage pas du tout l’analyse faite par mes camarades (toutes tendances confondues) qui dirigent le Conseil Général. Parce que derrière la façade tellement lisse du raisonnement de Martin Hirsch, c’est tout le système de valeur de la gauche qui se trouve remis en cause.

 

Pour moi, et je crois pour les socialistes, les communistes, le mouvement syndical, bref, les pour diverses composantes de la gauche de transformation sociale, il s’agit de  poser d’abord et avant tout la question de la répartition des richesses, non ? Or, mes camarades du CG93 semblent ne pas s’apercevoir que la formule « entrer dans le monde du travail sans garantie de sortir de la pauvreté » de Hirsch révèle une terrible réalité qu’apparemment tout le monde admet comme ordinaire et incontestable : il est désormais possible dans notre pays d’être salarié ET pauvre. En effet, c’est la réalité, dans un pays ou le rapport entre les salaires et le capital dans la valeur ajoutée produite par notre économie nationale s’est dégradée depuis 20 ans, pour passer de 70% salaires – 40% capital dans les années 80 à 60% – 40% aujourd’hui. Ce sont ainsi 20 points de la valeur ajoutée qui sont passés en moins de 20 ans des poches des salariés à celles des actionnaires. Et le processus s’accélère. Dans ma ville, le CCAS a du doubler ses budget d’aides d’urgence en 4 ans ! Les fonds d’aide pour l’énergie, pour le logement, pour l’eau explosent littéralement. Des dizaines de milliers de personnes dans notre département se retrouvent aujourd’hui salariés, mais condamnés à vivre dans des conditions misérables tellement les salaires sont bas, tellement les statuts sont précaires, et tellement le coût de la vie est élevé.

 

La gauche n’a-t-elle plus rien à dire la dessus ? A fortiori lorsque c’est la gauche qui gouverne comme c’est le cas dans mon département.

 

Je considère que le RSA, dans son essence même exprimée par Martin Hirsch, mais en parfaite conformité avec le discours de Nicolas Sarkozy vise en réalité à l’institutionnalisation du travailleur pauvre, et que cela s’inscrit dans la droite ligne de toutes les politiques de l’emploi menées par la droite depuis 2002.

 

Je le dis franchement : pour moi, élu socialiste, les allocataires du RMI ont raison de considérer, parfois, qu’il est préférable de rester sous ce statut plutôt que d’accepter les conditions de travail et de salaire que la société leur propose. Ce n’est pas promouvoir « l’assistanat » que de dire cela. C’est tout simplement avoir une conscience de gauche.

 

C’est considérer au contraire que chaque allocataire du RMI souhaite résolument sortir de la précarité et vivre dignement de son travail. Je dis bien sortir de la précarité et vivre dignement de son travail, et pas accepter docilement la réalité du marché du travail aujourd’hui. Pour la gauche, il ne peut donc être question d’avoir a priori de la défiance envers des individus qui se trouvent plongés malgré eux dans la précarité qui s’installe dans notre société du fait d’une politique libérale déterminée à briser les acquis sociaux.

 

Le RSA est entièrement imprégné de la logique de culpabilisation des chômeurs et des allocataires du RMI concentrée dans la formule mensongère du « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy. Le RSA est en vérité une politique de culpabilisation, d’installation durable des bas salaires. De plus ce dispositif installe un système où les patrons bénéficieront d’une main-d’oeuvre bon marché et dont le revenu minimum sera assuré en grande partie par l’argent public (pesant notamment sur la fiscalité du Département).

 

Personnellement, vis-à-vis de la réforme instituant le RSA, j’attendais du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis qu’il adopte une position semblable que celle qui avait prévalu en 2004 vis-à-vis du Revenu Minimum d’Activité (RMA) dans un certain nombre de départements, en ne l’appliquant pas.  Car il s’agit exactement de la même logique.

 

Malheureusement, c’est au contraire avec zèle que cette politique va être mise en place dans le département. Cette situation est très révélatrice du désordre dans lequel se trouve la gauche aujourd'hui.

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